Interview : Vincent FREDERIC , jeune créateur de talent









Vous avez sûrement pu découvrir ce créateur/styliste lors de son interview sur Guadeloupe 1ère . En
effet, de passage en Guadeloupe, il est retourné dans son lycée (Rivière des Pères à Basse-Terre) où il est allé à la rencontre de la classe d'Arts Appliqués. Il a pour projet de créer sa collection de prêt-à-porter pour hommes du nom de "CREOLE SOUL" et a mis en ligne une plateforme de financement. Il a pour objectif de la présenter à la Fashion Week de Paris en Juin 2016. Vincent FREDERIC a participé aux Kréyol Fashion Days où il y a exposé ses photos en Juin dernier. Il a contribué en tant que styliste au clip " La base " de 3010 feat. Disiz . On peut y apercevoir le rappeur 3010 portant quelques unes de ses créations.

Il m'a consacré une interview exclusive que vous trouverez ci-dessous.

Présentation de sa collection "CREOLE SOUL" :

La série de photos de sa collection "CREOLE SOUL" :



Direction artistique : Vincent Frédéric / Photographe : Fanny Viguier / Modèle : Stéphane



MadeinGuadeloupe : Peux-tu te présenter en quelques mots ?


V.FREDERIC : Je m’appelle Vincent FREDERIC, j’ai 25 ans. Je suis Parisien de naissance, mais j’ai vécu toute mon enfance et adolescence en Guadeloupe à Saint-Claude.

J’ai suivi un cursus en Arts Appliqués au lycée, je suis diplômé d’un BTS Design de produit (en 2010), puis j'ai suivi des études en Sociologie et Anthropologie à Lyon. Par la suite, j'ai intégré une école de mode en Suisse : la HEAD (Haute Ecole d’Art et de Design de Genève).





Depuis l’été 2012, j’ai commencé à travailler pour une enseigne multi marques de créateurs d’origine Londonienne à Paris, la boutique KOKON TO ZAI. Au début, pour un simple remplacement pour devenir par la suite assistant manager et visual merchandiser pour la boutique.


Wiz Khalifa , client de la boutique KOKON TO ZAI (Octobre 2013)






J’ai toujours eu quelques projets de mode en paralèle comme styliste photo. J’ai pu collaboré avec de jeunes photographes de talent comme : Enzo Addi, Fanny Viguier, Cho Han Siu Rex, Jiès Cléodore entre autres, mais aussi produit quelques petites créations de vêtements quand l’envie me prenait.

Je me définirais plus comme un créatif. Souvent, on aime à me résumer comme un styliste ou artiste ce qui rassure les gens. Mais je considère que ma créativité se limite à un domaine car j’aime à intellectualiser le monde qui m’entoure en concept.



Quelles sont les particularités de la collection « CREOLE SOUL » ?




« CREOLE SOUL » est une forme de manifeste identitaire en rapport avec la culture avec laquelle j’ai grandi et ma vision progressiste de celle-ci.

On représente souvent la culture créole par son folklore sans vraiment essayer de la présenter comme un concept créatif dans certain domaine à mon sens.

On reste figé dans une représentation exclusive qui n’existe que par ceux qui la connaissent.

Je souhaite présenter la culture créole avec un peu plus de profondeur et de relief en re-parcourant l’histoire ou iconographie régionale, pour en développer une ligne street wear/sport wear haut de gamme couplé avec des techniques artisanales comme le plissé, la broderie, le macramé, la passementerie…

Moodboard CREOLE SOUL


Je fais donc beaucoup d’expérimentation : textile, technique, pour apporter une retraduction d’éléments iconographiques comme le madras par exemple.





Néo portrait d'une négresse

Recherche imprimé néo portrait d'une négresse


Pour ce projet, j’observe beaucoup les archives connues ou méconnues pour réussir à identifier les éléments forts qui peuvent caractériser la culture créole. Beaucoup sont issues du vestiaire féminin car plus riche en détails que le vestiaire masculin sur différentes époques que je réadapte sur des silhouettes urbaines de l’homme d'aujourd’hui.



D’où te vient cette passion pour la mode ?




C’est presque un rapport naturel et inconscient que j’ai toujours eu même étant jeune. Le choix de mes vêtements me permettant d’incarner un idéal que je souhaitais atteindre à ma manière ainsi que ce que me permettais mes parents de faire.

Durant mon adolescence, je commençais à faire des choix un peu plus affirmés quelque peu en rupture avec l’homogénéité stylistique ambiante des Antilles. Pour moi, j’ai grandi dans une forme de frustration vestimentaire et psychologique de vivre sur une île que j’aime mais où je me sens incompris. Mes seules parenthèses restaient les séjours que l’on faisait en famille à Paris « ma ville » où j’avais la sensation de respirer, d’exister face à des choses qui me correspondais d’avantage.

J’ai toujours observé la mode de loin en me disant « c’est sympa mais c’est peut-être pas fait pour moi »; tout en prenant plaisir à m’habiller quitte à essuyer des railleries de la part de mes proches, camarades de classe ou autres.

Cela me faisait doucement sourire car pour eux, rester dans les rangs signifiait le bon sens absolu.
De mon côté, je les observais en me disant voilà à quoi l’homogénéisation d’une culture renvoie. Je ne souhaiterai pas ressembler à ça plus tard, car ma vision du monde révolté était loin de rejoindre la leur.

 En classe de Terminale, nous avions eu un sujet de mode qui je pense fut l’un des éléments déclencheurs (à retardement) de ma réelle sensibilité pour la mode.
On devait recycler de vieux vêtements pour en proposer de nouveaux en quelques jours chrono qui devaient être présentés lors d’un défilé afin de réunir les derniers fonds pour notre voyage scolaire à Paris.
Je me suis découvert des aptitudes cachées venant de mes observations fréquentes durant mon enfance de mes grand-mères ou tantes qui faisaient de la couture.

Une forme d’évidence que j’ai tout de même refoulé jusqu’au jour où une amie de fac me parle d’une école de mode en Suisse où je devrais postuler compte tenu de mon profil et de ma sensibilité créative.

Je m’étais toujours perçu comme designer produit donc en lien avec l’objet et non pas avec le textile.

N’ayant rien à perdre, j’envoie ma candidature et me retrouve convoqué pour l’entretien individuel.

Ce fut une réelle révélation de le dire: « Tiens, je peux concevoir la mode autant que le design. », tout en ayant l’aval de ces compétences par une école et une équipe de professionnels.

Ce fut le début d’une belle expérience, rencontres et opportunités dans un monde où je me sentais en phase.




Comment définirais-tu ton style ?




Je n’aime généralement pas me définir, je fuis quelque peu la redondance et la monotonie. J’ai tout de même je le conçois, un style relativement urbain qui s’hybride avec des éléments un peu ethnique.



Quelle est ta vision de la mode ?




Je conçois le vêtement comme vecteur de message et d’identité. Je ne le vois pas  comme ce rythme cyclique qui consiste à être à la mode (notion populaire et marketing). Les éléments qui deviennent des must have  pour rester cool dans notre société consumériste.



La mode est histoire de personnalité et de feeling pour moi. Il est préférable d’être à l’aise avec des pièces de notre garde robe que l’on aime ressortir même 4/5 ans après l’avoir acheté et se surprendre à l’associer avec d’autres pièces plus actuelles de notre garde robe.

J’adore les pièces vintage mélangées avec quelques pièces de créateur (#SloganDeBlogueurMode) mais qui  montrent tout de même une cohérence en accord avec ma personnalité.

Il faut prendre le temps de comprendre qui l’on est, le vêtement est le meilleur allié pour faire comprendre certains aspects de notre personnalité ou humeur du moment.


Que penses-tu de la mode masculine en 2015 ?


Depuis quelques années, la mode homme commence à faire peau neuve. On ne conçoit plus spécifiquement la mode masculine comme étant des costumes-cravates mais un lifestyle à part entière où le street wear et le sports wear envahissent les podiums. La mode n’est plus élitiste dans l’image mais se veut plus ouverte.

Les univers se sont diversifiés ce qui offre un plus large choix au vestiaire masculin.

Quand on voit des marques d’univers différents qui collaborent par exemple : Supreme x Comme Des Garçons, Nike x Ricardo Tisci, Louis Vuitton x Kanye West ; on se dit que le luxe tente à assouplir ses frontières pour toucher un nouveau marché plus urbain.

On a plus doit à une Ghettoïsation de la mode mais une forme de démocratisation.

Les exemples viennent des icônes de la musique avec Kanye West, Asap Rocky, Wiz Khalifa qui véhiculent une image cool, décontractée voir accessible d’une mode sans frontière, ce qui éduque d’une certaine manière leurs fans via les réseaux sociaux.

Les hommes n’ont plus peur de s’informer sur des marques portées par leurs icônes, quittent à devenir eux-mêmes des prescripteurs adulés sur les réseaux sociaux pour leur lifestyle #OOTD (Outfit Of The Day); que les marques utilisent maintenant pour toucher un plus large public qui les place comme des égéries de mode qui parlent aux personnes "lambdas".

Certains y découvriront leurs vocations et franchiront les portes des grandes écoles de mode et de marketing de mode.

Le street wear est devenu une nouvelle norme, qui inspire et étonne encore.

Les nouvelles générations ont moins peur de passer le pas des grandes enseignes afin d’éveiller leur curiosité, leur culture mode et devenir des consommateurs plus avertis.

Il y aura toujours des marques de luxe mais le luxe à également compris qu’il fallait prendre en compte toutes les clientèles, tous les publics, pour mieux vendre et gagner en popularité.

Les hommes n’ont plus peur de s’intéresser à la mode, ils cherchent d’avantage à s’affirmer !



Quel(s) est(sont) ton(tes) créateur(s) préféré(s) ?




J’aime la qualité intellectuelle de la mode de Raf Simons, l’énergie de KTZ, la sensibilité de McQueen, le sens provocateur de Hood By Air, les coupes de Juun J, le radicalisme de Rick Owens.



La pièce fétiche de ton dressing ?



Mon bomber à volants s’inspirant des cols froncés des robes des danseuses de Gwo ka et des robes Doudou. Il est présenté dans la série de photos « CREOLE SOUL » photographiée par Fanny Viguier.


 Quelles sont tes marques préférées du moment ?



Grace Wales Bonner
Bernhard Willhelm
Raf Simons
Comme des Garçons
Yohji Yamamoto
Thamanyah
Florian Wowretzko
Sadak Label
Christopher Shannon
Nasir Mazhar
Etude Studio
Cottweiler
Swen



La collaboration de tes rêves ?




En terme de personnalité, collaborer sur un projet photo avec l’artiste Stromae.
Pour une marque d’accessoires, designer des chaussures avec Dr Martens et New Rock.
Pour une marque de prêt-à-porter, une collaboration avec Comme des Garçons.



Quels sont tes autres projets ?




Je nourris l’idée de faire une exposition pour le Mémorial ACTe, avec des artistes et amis. Nous présenterons une forme de laboratoire d’idées sur notre vision de notre créolité voire de la négritude à travers nos arts : Mode, Design, Bijoux, Set Design, Graphisme, Peinture, Performance, Danse, Vidéo, Architecture, Musique.

Le but serait d’apporter une vision nouvelle et positive sur notre savoir faire, notre créativité, notre identité. La culture créole est par essence issue du métissage. Nous avons donc la possibilité de la présenter sous plusieurs aspects, nuances que l’Histoire ne nous présente pas toujours.


Un dernier mot ?


Ayant maintenant un recul sur la culture dans laquelle j’ai grandi et évoluant dans un milieu international via la mode dans une boutique à Paris, mes derniers séjours en Guadeloupe furent de vraies parenthèses où je me surprends à redécouvrir la beauté de notre Région.

Les Antilles sont assises sur un trésor créatif et culturel, l’entrevoie des possibilités énormes qui semble échapper à beaucoup que je compte re-contextualiser dans le vêtement.

On a la volonté intellectuelle et institutionnelle de vouloir faire changer les choses par les moyens de  festivals, colloques, conférences, tables rondes afin d’échanger des idées. Le but serait que des projets réels y ressortent et montrer l’exemple afin que les gens n’aient plus peur de leurs idées.

Beaucoup de plateformes d’aide semblent être mises en place. J’ai pu me rendre compte en assistant à certaines des conférences lors des dernières KFD (Kreyol Fashion Days) que certains antillais avaient des projets mais semblaient quelque peu perdus ou manquaient de pertinence commerciale ou marketing.

Les KFD restent toutefois une magnifique plateforme tout de même qui sert à montrer l’exemple et un espace de réflexion sur un domaine créatif sous développé ou marginalisé localement car manquant d’identité propre et s’inspire beaucoup trop d’ailleurs au détriment d’une quête de singularité régionale.

Je rêve d’animé des workshop avec des artisans aux Antilles afin de leur faire partager une vision nouvelle de leur savoir-faire pour les amener à des perspectives innovantes de leur métier.

J’ai tout de même eu la chance par ce festival de présenter mon approche artistique tout en rencontrant des acteurs du monde de la mode institutionnelle présents en France que je n’aurais certainement jamais pu approcher.

La rencontre avec les scolaires, pour moi, fut quelque chose qui me tenait à cœur car ayant moi-même été dans leur situation, le fait d’avoir le témoignage d’un professionnel / ancien élève peut aider à comprendre la vie post-bac ou les réalités professionnelles.

Ils ont bien accueilli cette intervention et en redemande toujours. Ce n’est pas la première fois que je fais ce genre de choses au seins de mon ancien lycée mais je trouve que c’est un démarche naturelle et nécessaire de faire partager mon expérience à des jeunes en pleine phase d’orientation.

Ils représentent l’avenir et ont besoin d’être stimulés chacun dans leur domaine et soutenus dans leur démarche individuel.


J’entrevoie de belles choses pour l’avenir des Antilles ;-)



Pour soutenir son projet + informations casting :http://www.kickstarter.com/projects/creolesoul/creole-soul-0

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Commentaires

  1. C'est une très belle initiative pour les hommes. Effectivement la mode créole chez les hommes est quasi inexistante et pourtant il y a des choses à faire !
    J'attends cette collection avec impatience!

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